Allocution de la représentante de la Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française, Joanne Gervais, au deuxième panel virtuel organisé par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) à l’occasion des journées de discussion sur l’éducation postsecondaire dans le Moyen-Nord de l’Ontario, le mardi 1er février 2022
Chers collègues panélistes et vous qui êtes à l’écoute, bonjour,
Au nom de la Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française, je remercie l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario pour l’organisation de cet événement. C’est une bonne façon de souligner le premier anniversaire du processus entamé par Laurentian University, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou la LACC pour les intimes.
En voulant se mettre à l’abri de ses prêteurs et entreprendre une restructuration, les actions de Laurentian U. ont mené à un appauvrissement de la francophonie et à une perte de confiance de la communauté envers cet établissement.
En effet, en la privant de 28 programmes d’études en français, en avril 2021, ainsi que de professeurs, de chercheurs et d’étudiants qui ont quitté la région depuis, Laurentian U. a porté un coup dur à la communauté francophone.
Elle la prive de ressources humaines et intellectuelles qui contribuaient à son développement.
Tout cela s’est fait sans aucune consultation avec la communauté.
La Coalition a vu le jour peu de temps après l’annonce initiale de l’université. Elle est issue de PlanifSudbury, une plateforme de collaboration qui émane des États généraux du Grand Sudbury de 2008.
La Coalition rassemble des intervenantes et des intervenants des secteurs de l’économie, de l’éducation, des services sociaux, de l’immigration, de la santé, des services communautaires, ainsi que des arts et de la culture.
Nous redoutions à la Coalition que Laurentian U. profite du processus de la LACC pour s’en prendre à son volet francophone. C’est ce qui s’est produit.
La Coalition a donc amorcé une réflexion sur la façon de préserver les acquis francophones de cette institution.
Une solution s’est imposée rapidement : la création d’une université entièrement de langue française pour le moyen-nord ontarien.
Avec l’avènement d’une telle structure, notre région aurait accès à un continuum complet d’éducation en français, sous le contrôle des francophones, des services de garde d’enfants jusqu’à l’université.
Il nous a semblé à un moment donné que cette solution allait voir le jour plus rapidement que prévu, après que l’Université de Sudbury ait annoncé, le 11 mars 2021, qu’elle voulait devenir une université « par, pour et avec les francophones ».
Puisque rien ne se crée en une journée, nous savions qu’il y avait encore loin de la coupe aux lèvres.
La Coalition a choisi de soutenir ce projet. Nous avons formulé rapidement une demi-douzaine de recommandations que nous avons partagées sur la place publique et auprès des gouvernements provincial et fédéral, de l’Université de Sudbury et de Laurentian U.
D’abord, que toute la programmation de langue française de Laurentian U., autant celle qui avait été coupée que celle qui demeurait en place, soit transférée intégralement et immédiatement à l’Université de Sudbury.
Que les paiements de transfert fédéraux pour les minorités de langues officielles, autrefois versés à Laurentian U., soient transférés à l’Université de Sudbury afin de lui permettre de planifier son offre de programmes.
Que le gouvernement de l’Ontario intervienne pour soutenir l’Université de Sudbury et faciliter le transfert des programmes de Laurentian U.
Qu’une Commission de mise en œuvre provinciale soit mandatée d’identifier une structure de livraison de l’éducation universitaire de langue française dans le moyen-nord, de déterminer sa programmation et d’esquisser le milieu de vie et d’apprentissage d’une telle institution.
Pour y parvenir, la Commission aurait pu se livrer à une étude de besoins. Elle aurait soumis un plan de transition entre l’offre de programmes provisoires en langue française et l’ouverture de la nouvelle Université de Sudbury.
Finalement, nous souhaitions que soit reconnue l’importance des programmes d’études autochtones offerts depuis plus de 40 ans à l’Université de Sudbury.
Nous voulions que des démarches soient entreprises, en appui aux communautés autochtones, afin de les pérenniser.
Malgré son comportement envers la francophonie, nous avons exprimé le souhait que Laurentian U. devienne une institution fiable et forte au service de la communauté anglophone.
Pendant ce temps, l’Université de Sudbury assumerait pleinement son rôle d’établissement pour, par et avec les francophones.
Alors où en sommes-nous aujourd’hui, un an plus tard ? D’abord, commençons par une bonne nouvelle.
La Coalition salue l’accréditation de l’institut Kenjgewin Teg, sur l’île Manitoulin, bénéficiaire de programmes jadis offerts par l’Université de Sudbury, maintenant reconnu comme établissement postsecondaire autochtone capable de décerner des diplômes. Bravo !
Pendant ce temps, l’avenir de Laurentian U. est encore incertain. L’annonce récente d’une chute de plus de 43 pour cent des demandes d’admission au premier cycle par rapport à l’an dernier et d’une baisse de 52 pour cent pour les programmes de langue française n’est pas rassurante.
Comme l’affirmait le porte-parole de la Coalition, Denis Constantineau, cette diminution est le reflet d’un manque de confiance envers Laurentian U.
Je le cite : « Quand on regarde la façon dont l’Université Laurentienne s’est comportée face aux demandes de la vérificatrice générale et le mandat (de comparution) du président de l’Assemblée législative de l’Ontario, il y a un manque de transparence. Quel parent en Ontario va dire à son enfant l’Université Laurentienne, c’est le bon choix pour toi en ce moment ? Ce n’est pas évident », conclut-il.
Plus récemment, le recteur et vice-chancelier de Laurentian U., Robert Haché, annonçait que « le Comité mixte du bilinguisme (de l’établissement) a approuvé la création d’un comité consultatif francophone qui contribuera à l’élaboration de politiques et stratégies relatives aux enjeux francophones. Les membres du comité proviendront de Laurentian U. et de partenaires communautaires. L’invitation à participer à ce comité de 12 membres sera lancée bientôt. »
Cette annonce est un exemple parfait de la place que la clientèle, les programmes et les services de langue française occupent dans l’esprit des dirigeants de cette institution dite bilingue et triculturelle : nous sommes relégués au statut de consultés plutôt que de décideurs.
Ce n’est rien de nouveau. Je me souviens que mon frère Gaétan, ancien professeur émérite au Département d’histoire de l’Université Laurentienne, me racontait qu’à une époque pas si lointaine, les francophones n’avaient pas toujours un droit de regard sur le financement des programmes de langue française. En ce sens, on les confinait au rôle d’observateurs alors qu’on prenait des décisions à leur propos sans qu’on les consulte. Chassez le naturel, il revient au galop !
S’il y a encore des gens qui se questionnent sur la pertinence d’une université de langue française pour le moyen-nord gérée par, pour et avec les francophones, ils n’ont qu’à se référer à l’annonce de Robert Haché pour comprendre pourquoi nous sommes si nombreux à soutenir le nouveau statut de l’Université de Sudbury.
Évidemment, il y a d’autres raisons pour soutenir l’avènement d’une université entièrement de langue française.
L’ancienne cadre du Collège Boréal et toujours fille du Nord, Carmen Vincent, écrivait récemment que « la preuve a été amplement faite qu’une institution par et pour les francophones répond le mieux aux aspirations des communautés qu’elle sert. »
Elle cite « la performance remarquable du Collège Boréal qui, depuis sa création, se démarque par l’innovation dans son enseignement, l’intégration des technologies, sans parler de son classement annuel parmi les premiers dans les indicateurs de rendement des institutions collégiales de la province. Il ne fait aucun doute dans (son) esprit que l’Université de Sudbury, appuyée comme il se doit par la province, pourra devenir cette institution universitaire dont nous avons tant besoin. »
À son tour, le linguiste, auteur, ancien directeur du département de français de l’Université Laurentienne et cofondateur de l’Institut franco-ontarien, Benoît Cazabon, est un fervent supporteur du « vivre ensemble universitaire réalisé dans sa langue ».
Il dit que les étudiants et les étudiantes issus d’un tel environnement « retournent dans leur milieu (après leurs études) : ils enseignent à la prochaine génération. Gèrent la Caisse populaire du village. Créent des entreprises. Soignent des malades. Ils se marient aussi et une troisième génération va visiter les grands-parents. Certains continuent leur formation et reviennent enseigner à l’université de langue française du moyen-nord de l’Ontario. L’institution nourrit les individus, ceux-ci investissent l’institution. »
Comme Benoît l’indique, une université de langue française au service d’une région comme la nôtre, c’est beaucoup plus qu’un lieu d’apprentissage et de recherche.
C’est aussi un milieu de vie, d’échanges et de rencontres.
C’est un environnement propice à une familiarisation avec notre entourage, au développement d’une appréciation accrue pour notre langue, notre culture et notre communauté.
Une telle institution forge des identités et sa fréquentation nous permet de définir notre place dans la société.
En mettant au rancart la francophonie, en se contentant de la consulter plutôt que de soutenir ses aspirations, Laurentian U. a abdiqué ses responsabilités envers nous.
Il est temps de passer à autre chose. Il est temps de soutenir une université gérée par, pour et avec les francophones. Il est temps d’appuyer sans équivoque l’Université de Sudbury.
C’est à cette fin que la Coalition annonce aujourd’hui la création d’un comité d’expertises qui aura pour mandat, notamment, de consulter la communauté et de développer des recommandations en appui au mandat et à la mission de l’université de langue française du Moyen-Nord, en l’occurrence l’Université de Sudbury.
Le comité sera dirigé par l’ancien professeur titulaire à la faculté de gestion de l’Université Laurentienne, Jean-Charles Cachon.
Il sera appuyé par l’ancienne professeure agrégée au département de science politique de Laurentian U., Aurélie Lacassagne, l’ancienne enseignante au Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario, Marguerite Mbonimpa, et le professeur émérite de l’École de service social de l’Université Laurentienne, François Boudreau.
Le comité d’expertises se penchera aussi sur des priorités de programmation pour l’Université de Sudbury en se basant sur les besoins identifiés par la communauté et l’économie locale, notamment lors des assises de Franco-Parole 3 et des États généraux sur le postsecondaire, passés et courants.
Il recommandera des mécanismes que l’Université de Sudbury devrait instaurer pour assurer la création d’une culture d’action « avec » la communauté et sa participation récurrente dans la gouvernance et les activités d’enseignement, de recherche et de services communautaires de l’institution.
Puis, le comité proposera des modalités de relations structurelles et institutionnelles avec d’autres établissements postsecondaires et les conseils scolaires.
Il soumettra son rapport à la Coalition et à la communauté au plus tard au début du mois d’avril prochain.
La création d’une telle instance nous paraît essentielle à ce point-ci pour permettre à la communauté dans son ensemble, y compris les gens d’affaires, employeurs, parents, étudiants courants et futurs, partenaires et principaux intéressés d’exprimer leurs attentes envers notre université du moyen-nord.
Je vous invite, tous et toutes, à suivre les actualités de la Coalition sur les réseaux sociaux pour découvrir comment vous pourrez contribuer à ces réflexions.
L’Université Laurentienne que plusieurs parmi nous avons connue n’existe plus. Soutenons plutôt l’Université de Sudbury ! Merci.
Renseignements :
Denis J. Bertrand, responsable des communications
Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française
705-507-8472 / denis@dbertrand.com / www.planifsudbury.ca
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